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Le Reste À Charge Zéro (RAC 0) dans le secteur de l’audioprothèse était l’une des promesses de campagne du Président Macron. Face au défi majeur que représente les problèmes d’audition et le non appareillage des français, c’était une promesse attendue et nécessaire, visant à permettre une meilleure accessibilité aux soins. Cette réforme, qualifiée « de mesure historique » permettra-t-elle l’avancée espérée ou chargera-t-elle davantage, encore, nos retraités ?

Retour en 2015 avec la « Loi Macron »

La Loi du 6 Août, dite Loi Macron, ambitionnait déjà de permettre une meilleure accessibilité aux soins auditifs pour les millions de français qui refusent l’appareillage. Cette Loi visait à modifier le code de la sécurité sociale, en séparant l’achat initial d’une prothèse auditive et la prestation de suivi dans le temps. Elle aurait ainsi permis d’apporter une solution concrète pour nos nombreux presbyacousiques qui n’ont pas les mêmes besoins de suivi que des personnes atteintes d’une surdité sévère ou profonde.

Le prix total d’un appareillage auditif comprend, en bloc :

  • Le prix de l’appareil auditif et son réglage immédiat par l’audioprothésiste,
  • Une prestation de suivi, en général pendant 5 ans. Cette prestation, pas toujours réalisée mais toujours payée d’avance par le patient, représente 40% du prix final de l’appareillage auditif[1].

La Loi du 6 Août donnait ainsi la possibilité, au consommateur, d’accéder à l’appareillage auditif, qui aurait été alors 40% moins cher et d’opter pour une prestation de suivi si nécessaire et en fonction de ses besoins, par un professionnel de son choix. L’assurance maladie, cependant, n’a jamais adapté son texte, continuant de considérer indissociable l’achat initial et la prestation de suivi pour la prise en charge (de 120€ par appareil !).  Cette loi n’avait donc pas permis de changer les choses, les français demeurant toujours réticents à dépenser quelques 3 000€ pour un équipement auditif.

Le reste à charge, frein réel à l’appareillage auditif

La France compte près de 7 millions de malentendants, dont 3 sur 4 ne sont pas appareillés. Parmi les raisons unanimes au refus d’appareillage des français, on retrouve, en tête de liste : le prix, le reste à charge et l’esthétisme. Avec le RAC 0, l’ambition du Gouvernement est d’appareiller 1 personne sur 2, soit 3 millions de français et de permettre à la France de rattraper son retard à l’échelle de l’Europe. À cette fin et dans les faits, la mesure vise à augmenter la prise en charge de l’appareillage auditif par la sécurité sociale et les mutuelles.

Le prix moyen d’une prothèse auditive est de 1 550€, en France, en 2015 soit un peu plus de 3 000€ pour un appareillage binaural (sur les deux oreilles). Il s’agit donc d’un investissement coûteux qui, à ce jour, est pris en charge de la manière suivante :

  • À hauteur de 120€ par oreille par la sécurité sociale[2],
  • Entre 80€ et 350€ par oreille et par année par les complémentaires santé[3].

Le reste à charge avoisine donc les 65% du prix de l’appareil pour le patient.

À titre de comparaison, d’autres pays ont fait le choix d’une prise en charge conséquente voire totale par les instances publiques : Royaume-Uni, certains comtés de Suède, Danemark, par exemples. Les ventes de prothèses auditives rapportées à la population âgée sont jusqu’à deux fois et demi plus importantes dans les pays sans reste à charge ou avec un très faible reste à charge :

  • 142,2 aides auditives vendues pour 1 000 habitants de 65 ans et plus au Danemark,
  • 134,9 aides auditives vendues pour 1 000 habitants de 65 ans et plus au Royaume-Uni,
  • 51,5 aides auditives vendues pour 1 000 habitants âgés de 65 ans et plus en France[1].

Le reste à charge apparaît donc comme un frein puissant à l’équipement des français en prothèse auditive. Le RAC 0 semble donc être une excellente mesure pour rattraper notre retard européen.

La promesse du gouvernement : le Reste À Charge 0

Le 13 Juin 2018, les syndicats nationaux d’audioprothésistes ont donc signé, en présence de la Ministre des Solidarités et de la Santé, Madame Agnès Buzyn et à l’exclusion des usagers et des consommateurs (!), l’accord sur le Reste À Charge Zéro en audio prothèse. La réforme, qui s’inscrit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, sera déployée progressivement à partir du 1er Janvier prochain. Que dit cette Réforme ?

Les points positifs de la réforme du RAC 0

• Une meilleure prévention pour la jeunesse. Particulièrement exposé (banalisation du port des casques audios, agressions sonores quotidiennes, monde bruyant), un adolescent sur cinq se plaint de ressentir des acouphènes. La réforme prévoit donc d’étendre les examens obligatoires pour les enfants de moins de 6 ans aux jeunes de 8-9 ans, 11-13 ans et 15-16 ans. Ces examens, pris en charge à 100%, inclueront un bilan auditif.

• L’augmentation du numerus clausus des audioprothésistes. Nous l’évoquions précédemment, le nombre d’audioprothésistes formés est très en deçà des besoins de la population française. Cette pénurie, largement entretenue par les syndicats (UNSAF et SYNEA) et le Collège National de l’Audioprothèse (CNA) – qui plaident conjointement contre l’augmentation du nombre d’étudiants formés, permet d’entretenir un salaire élevé (en vertu du principe de rareté : ce qui est rare, coûte cher). Rappelons-le, le coût salarial représente 47% de la marge brute des audioprothésistes, dont le salaire à l’embauche se situe entre 4 000€ et 4 500€ bruts mensuels pour un BAC +3. La population française étant vieillissante, la demande en appareillage auditif va aller croissante. Afin de s’adapter à cette évolution, la réforme prévoit donc, d’ici 2021, de porter à 300 (contre 214 aujourd’hui) le nombre d’audioprothésistes formés annuellement. Si cela permettra certainement une plus grande disponibilité des professionnels, on peut toutefois se demander si cette augmentation sera suffisante au regard des besoins à venir.

• Un meilleur suivi des patients. « Le suivi des patients sera mieux assuré » : point non négligeable, qui témoigne bien, en effet de la réalité actuelle. 40% du prix de l’appareillage auditif concerne la prestation de suivi pendant toute la durée de vie de l’appareil (4 à 5 ans). Cette prestation, payée par avance, n’est pourtant pas toujours réalisée, comme le soulignait l’UFC – Que Choisir qui demandait l’application de la Loi Macron à ce sujet. À défaut d’appliquer cette Loi (qui est passée à la trappe pendant la négociation), la réforme prévoit donc un suivi annuel obligatoire des personnes appareillées, pendant 4 ans. Ce suivi devra être traçable par les organismes de santé. En d’autres termes, à défaut de répondre aux besoins des presbyacousiques (prix d’achat juste, produit d’utilisation simple, autonomie), la réforme fait en sorte que ce qui est payé sera réalisé. Le Gouvernement aurait sans doute pu mieux faire à ce sujet, mais la décision finale reste tout de même positive.

Ce qui va peser sur les retraités

1. L’orientation des ventes sur les prothèses de CLASSE II, dont le prix est libre. 

La réforme du RAC 0 distingue 2 catégories d’appareils auditifs, ceux de CLASSE I et ceux de CLASSE II. Les premiers correspondent au panier « 100% Santé » pris en charge à 100%, les seconds, non. Dans les faits :

Les appareils auditifs de CLASSE I, pris en charge à 100%, doivent présenter les critères suivants :

  • Tous les types d’appareils sont concernés : contour d’oreille, contour à écouteur déporté, intra-auriculaire ;
  • 12 canaux de fréquences et amplification des sons à hauteur d’au moins 30dB ;
  • 30 jours minimum d’essai de l’aide auditive avant achat ;
  • 4 ans de garantie ;
  • Au moins 3 des options suivantes : système anti-acouphène, connectivité sans-fil, réducteur du bruit du vent, synchronisation binaurale, directivité microphonique adaptative, bande passante supérieure ou égale à 6000Hz, fonction apprentissage de sonie, dispositif anti-réverbération ;
  • Des prestations de suivi (au moins une fois par an) pour adapter en continu le réglage de l’appareil en fonction de l’évolution de la perte auditive.

Le prix de ces appareils va être progressivement plafonné à partir de Janvier 2019 (de 1 550€ aujourd’hui à 950€ en 2021) et, conjointement, les prises en charges respectives, de la sécurité sociale et des mutuelles, vont augmenter, pour tendre vers un reste à charge minime pour le consommateur (ticket modérateur) à l’horizon 2021, comme expliqué sur l’infographie suivante :

Comme l’explique le dossier de presse « 100% Santé » du Gouvernement, les appareils auditifs de CLASSE I « sont des équipements de qualité, tant par leur esthétique – le panier inclut les dispositifs intra auriculaires – que par leur performance technique et par les garanties qui sont associées : 30 jours minimum d’essai de l’aide auditive avant achat; 4 ans de garantie. » Ce qui est vrai. Nous ajoutons également que ces caractéristiques en font des appareils susceptibles de convenir parfaitement aux personnes qui, précisément, ne s’appareillent pas : les presbyacousiques. Donc le panier RAC 0 devrait pouvoir être proposé à près de 80% des personnes qui éprouvent, à ce jour, une gêne auditive. Pourtant, le syndicat national des audioprothésistes indépendants a annoncé que les appareils auditifs de CLASSE I « devrait concerner 20% à 30% des ventes d’audio prothèses. » Devons-nous comprendre, par là, que 70% à 80% des consommateurs seront « préférentiellement orientés » sur des appareils auditifs de CLASSE II ? C’est à craindre !

2. L’inflation du prix de vente des prothèses de CLASSE II, puisque le prix est libre !

Les appareils auditifs de CLASSE II ne sont soumis à aucune spécificité technique et leur prix de vente n’est pas plafonné. Pour ces appareils, les prises en charge respectives de la sécurité sociale et des organismes de santé complémentaires sont identiques à celles du panier RAC 0. Alain Bazot, Président de l’UFC – Que Choisir, a rédigé et publié, le 6 Juin 2018, sur le site de l’UFC, un avertissement sur les dérives à craindre à ce sujet. Nous le restituons ici tel quel, tant il nous semble (malheureusement) évident :

« Si le panier RAC 0 est maintenu (mais à quel niveau ?), on ne trouve plus trace du plafonnement du prix des audioprothèses en dehors de ce panier. Avec un risque : la baisse de marges consentie par les audioprothésistes sur les offres sans reste à charge risque d’être répercutée violemment sur les consommateurs, en inflation sur les autres produits. Quant à la dissociation entre le prix d’achat de l’audioprothèse d’une part, et le coût du suivi annuel d’autre part, elle aussi est passée à la trappe. »

Qu’est-ce-que cela signifie ? Que les marges commerciales qui seront perdues « pour 20% à 30% des ventes d’audio prothèses de CLASSE I » risquent d’être répercutées sur le prix de vente des prothèses auditives de CLASSE II (qui vont donc concerner, en suivant le raisonnement de l’UNSAF, 70% à 80% des ventes à venir) et se traduire par…une hausse du prix de vente !

Le site Ouïe Magazine, réalise actuellement un sondage auprès de leurs lecteurs (audioprothésistes) afin de savoir ce qu’ils pensent du RAC0. Nous fournissons ici une capture d’écran de ce sondage au 20 Novembre 2018.

3. L’augmentation des cotisations des organismes de santé complémentaires.

Le Gouvernement a insisté sur le fait que l’effort demandé aux complémentaires santé n’impacterait pas le consommateur et que les remboursements devaient tenir dans l’enveloppe des contrats actuels. Écoutons, à ce sujet, Olivia Grégoire (LREM), Députée et membre de la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale, nous rassurer une nouvelle fois à ce sujet, dans une interview donnée le 24 Octobre sur France Info :

« Si les mutuelles répercutent sur leurs forfaits, alors nous prendrons nos responsabilités. (…) On peut employer la coercition pour contraindre les mutuelles à ne pas augmenter leurs tarifs et faire en sorte qu’elles n’augmentent pas leurs tarifs. Je peux vous assurer que le Gouvernement prendra ses responsabilités. (…) On peut tout imaginer, si tout ce que nous essayons de faire pour des milliards d’euros – parce que ces sujets ce sont des milliards d’euros pour les personnes les plus âgées et les plus fragiles de notre pays, ne devaient pas aboutir, nous prendrions nos responsabilités face aux mutuelles. »

Qu’en est-il vraiment ? Plusieurs cabinets privés ont publié leurs prévisions.

Le cabinet Mercer France a estimé l’impact financier de la réforme du RAC 0 sur les entreprises, dans le cadre des contrats collectifs. Il en ressort les prévisions suivantes :

  • +5,5% à 8,9% des cotisations pour les contrats « entrée de gamme »,
  • +1,6% pour les contrats « haut de gamme ».

Concernant les contrats individuels, le courtier d’assurance en ligne Santiane assure, qu’entre 2018 et 2021, « les remboursements vont augmenter de l’ordre de 7% en moyenne. » Le cabinet met également en lumière la disparité de cette augmentation, en fonction notamment de l’âge des assurés : étudiant, famille avec deux enfants, couple actif avec un enfant, retraités : nous ne serons pas logés à la même enseigne. Si les trois premiers « s’en sortiront » avec une hausse de leurs primes mensuelles sensiblement similaires et proche de 2,5%, les retraités en revanche, principaux porteurs d’audio prothèses, verront leurs factures gonfler de 9,4%.

En conclusion

Nous l’avons vu, les personnes qui, aujourd’hui, refusent l’appareillage auditif, sont des personnes dont la perte auditive n’est pas un handicap, mais une gêne. Ces personnes sont relativement jeunes (une soixantaine d’années), désireuses d’un appareil discret (intra-auriculaire) et performant, vendu à un prix juste, qu’elles porteront de manière ponctuelle et dont elles réclament une utilisation simple et sans contrainte. Avec la Réforme du RAC 0, leurs exigences n’ont pas été entendues et les dérives à craindre sont nombreuses :

  • Les professionnels continueront d’orienter ces personnes sur des contours d’oreille (80% des ventes actuelles) : on peut prévoir que le taux d’insatisfaction demeurera inchangé et que ces prothèses risquent, comme dans 5% à 10% des cas actuellement, de finir dans un tiroir ;
  • Dans cette logique, le suivi obligatoire annuel pendant 4 ans, payé d’avance par le consommateur, risque d’être encore shunté ;
  • Que ces français presbyacousiques seront principalement orientés sur des appareils auditifs de CLASSE II, sans RAC 0 ;
  • Et, qu’en parallèle, leur primes annuelles de cotisations aux organismes de santé complémentaire augmenteront.

Cette réforme, qualifiée d’historique par certains acteurs de l’audition, ne changera malheureusement pas la donne pour nos 6 millions de presbyacousiques.  Elle va peser sur le budget de la sécurité sociale (qui affiche un déficit de 300 millions d’euros) et sur celui des retraités (dont le pouvoir d’achat baisse constamment) et profitera, sans doute, aux professionnels de l’audition et aux mutuelles.

Pourtant, il nous semble qu’avec des mesures simples et de bon sens, cette réforme aurait réellement pu profiter au plus grand nombre :

  • Dissociation entre prix d’achat initial de la prothèse auditive et prestation de suivi : la facture aurait immédiatement diminué de 40%,
  • Information réelle des consommateurs sur les types de dispositifs auditifs existants (intra-conduit et contour d’oreille) en fonction des pertes auditives : les ventes d’intra auriculaires monteraient en flèche et de nombreux utilisateurs s’appareilleraient plus tôt, en ne portant qu’un seul appareil. Cela permettrait non seulement de contribuer à réduire encore la facture, mais également d’agir dès les premières gênes (contre 71 ans aujourd’hui),
  • Information réelle des consommateurs sur les performances des prothèses auditives pré-réglées, dont certaines répondent déjà en tous points aux caractéristiques techniques des appareils auditifs de CLASSE I et qui ont plus que fait leurs preuves en termes de satisfaction utilisateur,
  • Voire une prise en charge de ces prothèses auditives pré-réglées, qui, en plus d’avoir le mérite de répondre aux exigences identifiées des consommateurs, permettent d’ouvrir un marché monopolistique dont l’intérêt n’est pas toujours celui de l’acheteur.

 

Sources :

[1] UFC – Que Choisir : « Audioprothèses, un marché verrouillé, au détriment des malentendants » – Septembre 2015

[2] L’Assurance Maladie couvre 60 % du tarif de responsabilité, fixé à 199,71 €, soit un remboursement de 119,83 €.

[3] Marguerite GARNERO et Vincent LE PALUD, 2014, « Les contrats les plus souscrits auprès des organismes complémentaires santé en 2010 », Document de travail, Série Statistiques, n°191, Drees, Août.

 

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