perte-auditive-presbyacousie-et-volant

L’audition n’est pas un sens primordial pour la conduite automobile, mais elle reste une aide précieuse en cas de situation d’urgence. La surdité n’est pas un frein légal à la conduite pourtant, au volant, le port d’écouteurs et un fort volume sonore sont reconnus comme les principaux comportements à risques liés à l’audition et sont interdits par la loi. En effet, ils peuvent masquer les signaux d’alerte mais aussi diminuer les capacités d’attention.

Conduit-on vraiment « à l’oreille » ?

Pour conduire en toute sécurité, il faut percevoir correctement son environnement pour s’y adapter. Le premier sens sollicité est la vision. L’audition, elle, vient en complément. L’audition permet de recueillir des informations utiles, comme les recommandations des systèmes GPS, sans avoir à quitter la route des yeux ; suivre le régime du moteur pour passer les vitesses, détecter les pannes.

L’audition est surtout utile dans les situations d’urgence. Pourtant, une enquête réalisée en 2017 par OpinionWay montre que peu de conducteurs considèrent l’audition comme un facteur important pour une bonne conduite : ils ne sont que 8% à la placer dans le top 3.

Quelle est donc la place de l’audition dans la conduite d’aujourd’hui ? Et dans la conduite de demain ?

audition-et-perte-auditive-au-volant-opinionway

La surdité n’est pas un frein légal à la conduite

Selon l’arrêté du 18 Décembre 2015, l’audition n’est pas un facteur limitant à l’obtention du permis de conduire ni à son maintien, pour les conducteurs de véhicules du groupe léger (A, B, E). D’un point de vue légal, concernant les véhicules du groupe « léger », même les personnes atteintes de surdité profonde et communiquant grâce à la langue des signes, ont le droit de passer le permis sans restriction de validité. Leur véhicule doit seulement être équipé de rétroviseurs bilatéraux (mention obligatoire sur le permis de conduire), ce qui est, dorénavant, la norme pour la plupart des véhicules.

surdites-profondes-perte-auditive-permis-de-conduire

La situation est différente pour les conducteurs du groupe « lourd » (transports en commun et poids lourds). Les surdités profondes ne pouvant pas être corrigées par un appareillage auditif sont jugées incompatibles avec la conduite. Pour les autres types de surdités, la limite de référence est de 35dB, au-delà de laquelle l’autorisation est accordée si l’audition est ramenée à ce seuil grâce à un appareil auditif ou une intervention chirurgicale. Les rétroviseurs bilatéraux restent obligatoires.

retroviseurs-bilateraux-surdite-audition-prsbyacousie-au-volant

Quelles défaillances auditives ou nuisances sonores sont susceptibles de perturber la conduite des véhicules d’aujourd’hui ?

Une surdité bilatérale diminue globalement la perception des sons extérieurs, notamment des signaux d’alerte. Une surdité unilatérale n’est pas non plus anodine car elle empêche de localiser correctement l’origine des sons.

La baisse de l’audition est plus fréquente après 50 ans, avec l’apparition de la presbyacousie, constat que l’on retrouve dans l’étude OpinionWay. Mais le vieillissement touche également la vision. Tous âges confondus, environ 20% des patients ont à la fois un problème d’audition et un problème de vision. Or une atteinte poly sensorielle, audition et vision, augmenterait le risque d’accident[1] de la route si elle n’est pas correctement prise en charge. D’où l’importance des dépistages chez un professionnel de santé.

D’autres facteurs impliquant l’audition peuvent perturber la conduite. Ceux reconnus par l’échantillon de français interrogés dans le cadre de l’enquête sont :

  • Le port d’oreillettes ou écouteurs, cité en premier dans 48% des cas,
  • Un volume élevé de la musique ou de la radio dans l’habitacle.
  • On peut ajouter les bruits internes (bruit du moteur, bruit des roues, par exemples) propres aux véhicules anciens et/ou mal insonorisés.

Tous ces facteurs peuvent masquer les sons extérieurs, en particulier les signaux d’alerte. En fonction de leur intensité et de leur durée, ce sont également des facteurs de stress[2] qui peuvent nuire à la sécurité routière. De plus, les méfaits sur l’oreille d’une écoute prolongée de sons forts, dont la musique, sont connus depuis longtemps. Ils sont responsables de l’apparition d’acouphènes et de surdité. Le volume sonore enregistré à l’intérieur de l’habitacle se situerait, pour la plupart des automobiles, au-delà de 70dB[3], avant même d’avoir allumé la radio. Cette exposition au bruit peut avoir des retentissements auditifs (surdité, acouphènes, etc.) si elle est prolongée et régulière, comme cela peut être le cas pour certains professionnels de la route, conduisant des véhicules bruyants (par exemple, les routiers[4]).

L’usage prolongé d’oreillettes ou d’écouteurs a un impact encore plus négatif sur l’audition car le dispositif est placé près du tympan. Le volume de sortie des baladeurs musicaux est limité à 100dB par la loi. Or une écoute supérieure à 5 minutes, à ce niveau sonore, est préjudiciable pour l’audition. De plus, oreillettes en place, il est très difficile de retrouver l’origine d’un son extérieur (perte de la stéréophonie).

Enfin, tous ces bruits (téléphone, GPS) viennent diminuer les capacités d’attention du conducteur[5,6]. Le cerveau, obligé alors de faire deux tâches en même temps, ne peut y parvenir sans en mettre une sur « pilote automatique », c’est pour cela qu’il est si dangereux de téléphoner au volant : écouter l’interlocuteur, réfléchir à la réponse et surveiller la route font trois tâches, soient deux de trop pour notre cerveau.

telephone-au-volant-savoir-choisir

 

perte-auditive-presbyacousie-telephone-au-volant

La majorité des personnes interrogées reconnaissent l’intérêt de mesures pratiques pour diminuer les risques, liés aux nuisances sonores, sur la route. 45% d’entre elles déclarent limiter le volume de la musique dans leur véhicule. La loi française, elle aussi, prend en compte ces risques pour la conduite. Un volume sonore trop élevé dans l’habitacle peut être sanctionné, en vertu des articles R48-2 du Code de la Santé publique et R412-6 du Code de la Route, sans qu’un seuil chiffré ne soit déterminé.

De plus, l’usage du téléphone tenu en main est interdit depuis 2003. Il en est de même pour les oreillettes et écouteurs depuis le 1er Juillet 2015. Cependant, l’effet sur l’attention n’est pas pleinement pris en compte puisque les dispositifs intégrés au véhicule ou au casque des motards sont toujours autorisés[6].

Demain : une voiture silencieuse, une fonction auditive accessoire ?

Les différentes réglementations imposent aux constructeurs de concevoir des véhicules de plus en plus silencieux, afin de limiter au maximum la pollution sonore. Cette pollution sonore, perçue de l’extérieur mais aussi à l’intérieur des véhicules, est une source indéniable de stress[3]. L’exposition au bruit est connue pour favoriser les insomnies et le risque de maladies cardiovasculaires (hypertension, infarctus, accidents vasculaires[1]). Le silence à l’intérieur de l’habitacle est donc un critère de confort que recherchent les utilisateurs.

Toutefois, l’insonorisation ne doit pas empêcher d’entendre les signaux d’alerte. Comment maintenir un niveau de sécurité suffisant si tous les véhicules sont silencieux ? C’est déjà le problème qui se pose avec les véhicules électriques[2] et, en particulier, les deux roues lorsqu’ils sont cachés dans l’angle mort. Ce risque, lié aux deux-roues, est largement reconnu par les personnes interrogées dans l’étude OpinionWay : 66% le placent dans le top 3 des risques pour la conduite alors que les véhicules électriques sont encore minoritaires. C’est ici qu’entrent en jeu les récentes innovations technologiques, dont le détecteur d’angle mort et le système anti-collision. Même si ces équipements ne sont pas encore d’utilisation courante, on peut imaginer qu’ils le seront de plus en plus à l’avenir. Tant que ces systèmes sont passifs, l’audition reste utile si le signal d’avertissement est sonore. Dès que ces systèmes deviennent actifs et que le véhicule réagit de manière autonome, l’audition au volant devient accessoire. Tous ces équipements permettront de pallier l’absence de perception des signaux extérieurs, qu’elle soit liée à une audition défaillante ou à une insonorisation de l’habitacle.

audition-perte-auditive-probleme-audition-permis-de-conduireSi nous nous projetons plus loin et nous intéressons aux véhicules « mindless » (conduite totalement assistée), l’audition deviendra tout à fait inutile pour la conduite puisque le véhicule percevra seul les situations dangereuses et y réagira en conséquence. Restera toujours la problématique du piéton, qui, lui, utilise largement son audition. Certes, son usage de la route est limité mais il restera toujours l’acteur le plus vulnérable. La généralisation de véhicules silencieux lui imposera d’être extrêmement vigilant avant de traverser la route, car il ne pourra pas se fier uniquement à son ouïe pour estimer l’approche d’un véhicule[7].

voiture-autonome-audition-presbyacousie-conduite

Conserver un bruit de moteur, même limité, restera peut être une nécessité en termes de sécurité routière.

Qu’est-ce qu’une surdité ?

En ORL, est considérée comme sourde toute personne entendant moins bien, c’est à dire ayant une perte auditive supérieure à 20dB. Ensuite, différents stades sont définis en fonction de la perte auditive, le dernier étant la surdité profonde où, schématiquement, aucune parole ni aucun son ne sont perçus par l’oreille. Si cette surdité survient avant l’apprentissage du langage oral et qu’elle n’est pas corrigée, la parole ne se développe pas et ces personnes peuvent recourir à la langue des signes. La cause la plus fréquente de surdité en France est liée au vieillissement naturel de l’oreille et s’appelle la presbyacousie.

degres-de-perte-auditive-surdite-profonde-presbyacousieAu sujet de l’auteur, le Dr Mary Daval

Mary Daval est chirurgien ORL à la Fondation Rothschild, spécialisée dans les troubles de l’audition et la chirurgie de l’oreille. C’est en 2010 qu’elle obtient son diplôme d’État de Docteur en Médecin et son diplôme d’Études Spécialisées d’Oto-Rhino-Laryngologie et Chirurgie Cervico-Faciale.

 

Sources :

[1] Ivers et al. « Sensory impairment and driving : the Blue Mountains Eye Study », Am. J Public Health, 1999

[2] Schnell et al. « The effects of exposure to envrionmental factors on Heart Rate Variability : An ecological perspective », Environ Pollut, 2013

[3] Li et al. « Impacts of pavement types on in-vehicle noise and human health », J Air Waste Manag Assoc., 2016

[4] Alizadeh et al. « Noise-induced hearing loss in bus and truck drivers in Mazansara province, 2011 », Int J Occup Saf Ergon, 2016

[5] Strayer et al. « Assessing Cognitive Distraction in the Automobile », Hum Factors J Hum Factors Ergon Soc, 2015

[6] Steinborn et al. « Phone Conversation while Processing Information : Chronometric Analysis of Load Effects in Every-media Multitasking », Front Psychol. 2017

[7] Ashmead et al. « Auditory Perception of Motor Vehicle Travel Paths », Hum Factors J Hum Factors Ergon Soc, 2012

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Découvrez aussi

Difficultés à comprendre la parole dans le bruit : l’audiométrie vocale dans le cadre de l’appareillage auditif

Nous l’avions évoqué précédemment, le problème de compréhension de la parole dans un…