aide auditive, prothèse auditive, perte auditive et regard de l'autre

« Nous ne sommes nous qu’aux yeux des autres et c’est à partir du regard des autres que nous nous assumons comme nous-mêmes. » Jean Paul Sartre

Dans nos sociétés, la manière dont nous souhaitons être regardés par les autres et notre propre regard sur eux occupent une place centrale dans nos pensées et nos agissements. Culte de la jeunesse, dépenses croissantes en chirurgie esthétique, peur de vieillir en sont des exemples parlants. L’une des difficultés majeures éprouvées par les malentendants est l’invisibilité de leur handicap. D’une part car cela entraine une prise de conscience plus difficile – notamment dans les premiers temps, d’autre part car cela explique, pour partie, leur refus de s’appareiller, l’appareillage auditif n’étant pas, lui, invisible.

Sourds et malentendants, acceptation et déni

Il convient de ne pas confondre « personnes sourdes » et personnes malentendantes ».

Les premières, en situation de handicap profond, ont choisi – à l’adolescence ou lorsqu’elles étaient jeunes adultes – de signer, c’est à dire d’utiliser la Langue des Signes, pour communiquer. Souvent lorsque leur audition ne leur permettait plus d’avancer dans leur parcours scolaire ou au début de l’apprentissage professionnel. Ils affichent leurs différences par une acceptation pleine et entière de leur handicap auditif et montrent ainsi aux autres qu’ils communiquent gestuellement. Leur handicap fait partie intégrante de leur individualité, il n’est ni un frein ni un tabou. Ces personnes là ont des vies normales et leur appareillage auditif a été fait dès que le handicap a été perçu.

Les secondes, en revanche, ont bénéficié, pendant un temps, de l’intégrité de leur fonction auditive et souvent, d’ailleurs, n’avaient pas pris conscience de sa valeur inestimable avant de commencer à éprouver des difficultés, vers la cinquantaine. La presbyacousie est assimilée au vieillissement, dans une société où tous les codes nous ramènent à la jeunesse éternelle. Cette perte auditive, qui ne relève pas du handicap mais d’un inconfort, est alors mal perçue. Chez ces personnes, aussi longtemps que l’appareillage auditif n‘est pas porté, la déficience auditive reste invisible. Pourtant, le non appareillage entraine, bien sûr, une fatigue accrue, une baisse de la concentration et de la productivité, parfois même un repli sur soi, dans les cas les plus sévères.

problèmes d'audition : quels sont les freins à l'appareillage auditif des français ?

Le niveau de connaissances et de compréhension des problèmes liés à l’audition est incontestablement faible dans la population générale.

Lorsqu’il se trouve dans une situation bruyante, qu’une machine à laver dans la pièce adjacente couvre les dialogues du film à la télévision, ou que plusieurs personnes s’expriment en même temps, un presbyacousique à tendance à faire répéter. Il le fait une fois, deux fois, trois fois éventuellement, puis finit par renoncer.

Pourquoi renonce-t-il ?

Est-ce le manque de résultat de ses efforts à « combler les trous » en redoublant d’attention ? Et la fatigue que cela implique ?

Est-ce le mur d’incompréhension auquel il se heurte quand son entourage réagit en parlant fort ou en lançant, d’un air irrité ou fataliste « de toutes façons tu n’entends que si ça t’arrange ? »

Il y a une troisième éventualité, fondamentale et pourtant peu explorée : faire répéter, c’est reconnaître qu’on n’a pas bien compris, c’est admettre avoir une difficulté à accomplir quelque chose qui ne pose pas de difficultés aux autres.

Déficience auditive et acouphènes : des troubles fréquents

De nombreuses études confirment l’accroissement de la prévalence de la déficience auditive avec l’âge. L’âge moyen des personnes concernées par une presbyacousie serait de 65,7 ans, avec une prédominance féminine pour 57,7%.

La prévalence des troubles de l’audition n’est, bien sûr, pas uniquement liée à l’âge.

Une étude récente met également en lumière l’épidémiologie de l’acouphène, symptôme souvent associé à une perte auditive. Elle souligne que les générations récentes déclarent percevoir des acouphènes plus souvent que les générations précédentes. Cela peut être expliqué par plusieurs raisons :

  • Une plus grande exposition au bruit, généralisé dans notre monde moderne,
  • Une prise de conscience plus grande dans la population actuelle,
  • Une plus forte demande des générations récentes à rester en bonne santé.

Cette grande fréquence des troubles de l’audition, mal du siècle, ne nuance pas pour autant le déni des personnes concernées à « sauter le pas » et accepter l’appareillage auditif.

Les raisons pour lesquelles ont « sautent le pas »

Une étude[1] suggère l’intervention du facteur « gêne » (perte auditive plus marquée, handicap davantage ressenti), venant « contrebalancer » les inconvénients attribués à l’appareillage auditif. Selon cette étude, quatre groupes de personnes ont pu être dressés :

  1. Ceux qui ont refusé d’admettre qu’ils n’entendaient pas bien, malgré l’élévation des seuils trouvée à l’audiogramme,
  2. Ceux qui ont accepté de reconnaître, au cours de l’entretien, qu’ils n’entendaient pas bien, mais n’en avaient jamais parlé à leur médecin généraliste,
  3. Ceux qui avaient consulté leur médecin généraliste pour leur déficience auditive mais n’avaient pas été adressés à un centre d’appareillage auditif,
  4. Ceux qui avaient acquis des aides auditives.

L’âge moyen était exactement le même dans ces 4 groupes : 77 ans.

Trois éléments étaient significativement différents entre le groupe d (ceux qui avaient acquis des aides auditives) et les trois autres groupes :

  • La perte auditive plus importante,
  • Le pourcentage plus élevé de personnes se sentant handicapées par leur surdité,
  • Le pourcentage plus élevé de personnes souffrant d’acouphènes.

D’autres études ont tâché d’analyser les facteurs qui influencent la « démarche de soins » entreprise par le malentendant. Selon Swan et Gatehouse[2], il convient tout d’abord de distinguer :

  • Déficience auditive : déficit auditif supérieur ou égal à un niveau déterminé ;
  • Désavantage auditif : baisse de l’aptitude à se servir de l’audition dans des tâches quotidiennes, comme la compréhension dans le bruit ou la difficulté à localiser les sons ;
  • Handicap auditif : répercussion imposée par la déficience sur les activités sociales ou professionnelles.

Swan et Gatehouse constatent que la moitié des sujets ayant une perte auditive supérieure ou égale à 45dB ne sont pas appareillés et avancent, comme raison, que si des sujets atteints d’une déficience auditive d’un niveau manifeste ne cherchent pas à « faire quelque chose pour améliorer leur audition », c’est que leur « désavantage auditif » est inférieur à ce qui conduit généralement d’autres individus – atteints d’un déficit auditif équivalent – à s’engager dans une démarche de soins.

Ainsi, tant que l’inconfort ne devient pas un handicap, les individus, dans leur grande majorité, refusent l’appareillage auditif.

Perte auditive et image de soi

Une étude réalisée par Raymond Hétu[3] montre que les difficultés ressenties suite à une perte auditive exercent un effet très négatif sur l’image de soi et celle que l’on veut donner autres. Les personnes interrogées donnaient le sentiment de ne pas vouloir admettre leurs gênes auditives et allaient même jusqu’à prétendre n’avoir aucun problème auditif, pour préserver leur image.

D’après cette étude, les conséquences des difficultés auditives sur le malentendant portent sur :

Ses efforts :

  • Le malentendant doit être plus attentif lorsqu’il communique avec les autres,
  • Le malentendant a besoin de plus de concentration dans les conversations,
  • Le malentendant considère qu’il est embarrassant de faire répéter,
  • L’adaptation aux situations d’écoute difficile demande beaucoup d’effort au malentendant.

Son niveau de stress et d’anxiété :

  • Les problèmes d’audition augmentent le niveau de stress et donnent lieu à de la tension et de la fatigue,
  • Le bruit à la maison est dérangeant,
  • L’acouphène est gênant, agaçant,
  • Les problèmes d’audition provoquent un stress supplémentaire au travail,
  • Le malentendant se fait du souci sur son audition et sur son risque d’aggravation avec le bruit au travail,
  • Le bruit au travail entraine un comportement agressif,
  • Le malentendant et son entourage sont préoccupés qu’il ne puisse pas entendre sonner le téléphone.

Son niveau de fatigueAprès le travail :

  • C’est très ennuyeux d’avoir une sensation d’oreilles bouchées,
  • Le malentendant a mal à la tête et a besoin de paix et de calme,
  • Le malentendant se sent trop fatigué pour faire quelque chose d’autre (une autre activité).

Ses activités sociales et culturellesles problèmes d’audition amènent le malentendant à changer ses activités sociales.

Son isolement en société :

  • Le malentendant se sent de plus en plus isolé quand il est avec d’autres personnes,
  • Il communique moins quand il est en groupe,
  • Il participe moins à la discussion de groupe,
  • L’impossibilité de suivre des discussions en groupe représente quelque chose de gênant pour lui.

L’image négative qu’il a de lui :

  • Il est ennuyeux et gênant, pour le malentendant, de ne pas entendre certains mots,
  • Dans les discussions de groupe, le malentendant se sent ridicule de ne pas comprendre,
  • Le malentendant se sent gêné de ne pas comprendre mais ne souhaite pas montrer ses difficultés aux autres,
  • Il éprouve de l’embarras à demander aux autres de répéter,
  • Dans les réunions avec les employeurs, il ne peut pas demander de répéter car il ne souhaite pas donner une image d’incompétence,
  • Le malentendant à tendance à s’isoler du reste des gens,
  • L’entourage est agacé car il pense que le malentendant ne veut pas comprendre,
  • Le commentaire « tu es sourd ou quoi ? » est désagréable et très mal perçu,
  • Le malentendant se sent handicapé par ses difficultés auditives,
  • Le malentendant est ennuyé, vexé, de savoir que les autres connaissent l’existence de son trouble auditif.

Son entourage :

  • Il est obligé d’augmenter le niveau sonore de la télévision, ce qui le gêne et dérange son entourage,
  • Il parle fort, ce qui est embarrassant,
  • Il fait répéter, ce qui est gênant,
  • Il doit compter sur son conjoint pour savoir quand le téléphone sonne,
  • Le conjoint peut être dérangé que le malentendant n’entende pas sonner le téléphone,
  • Le conjoint est inquiet de voir le malentendant s’isoler des autres,
  • L’incapacité du malentendant à suivre une discussion de groupe est source de frustration pour le conjoint.

Cette étude met également en valeur les effets de la révélation de la surdité aux autres à travers 3 approches :

  1. Reconnaître ses difficultés auditives aux personnes dont on se sent proches,
  2. Reconnaître ses difficultés aux collègues de travail,
  3. Reconnaître ses difficultés en portant un appareillage auditif.

Les conséquences de la révélation font ressortir l’effet de stigmatisation, qui met en danger l’image de soi-même et justifie la répugnance à reconnaître ses difficultés auditives aux autres, notamment pour éviter d’être rejeté.

  • Scepticisme, déni, surprise : parce que la déficience auditive est invisible, ceux qui connaissent le malentendant réagissent comme s’ils étaient déçus, dupés, trompés.
    • L’effet de surprise peut aussi venir de ce que la surdité est inattendue à la cinquantaine,
    • Parce que dans la population générale est répandue l’idée du tout ou rien « ce n’est pas possible, on entend parfaitement, ou l’on n’entent rien »
  • Effets de la stigmatisation : des réactions inappropriées peuvent conduire le sujet à être agacé lorsqu’il parle de sa déficience auditive « tu n’entends que ce que tu veux », « tu dis ça pour faire l’intéressant. » Le malentendant peut aussi éprouver de la peur : qu’on se moque de lui, de perdre son emploi ou de se voir refuser un avancement, d’être ignoré des autres dans une conversation de groupe.

La démarche de soins

Elle peut être assimilée à une série de filtres qui, une fois franchis, conduit le sujet à se faire appareiller.

Les premiers filtres viennent du malentendant.

  • Le sujet doit avoir conscience qu’il n’entend pas bien,
  • Le sujet doit ressentir le besoin d’une amélioration,
  • Il faut ensuite qu’il prenne la décision de demander de l’aide à son médecin.

Pour passer ces premiers filtres, la perte auditive doit être ressentie comme réellement handicapante dans les activités quotidiennes, nous l’avons vu.

D’autre part, entre le moment de décision de prise de prendre rendez-vous auprès du médecin et le rendez-vous lui-même, un certain laps de temps peut exister, jusqu’à 6 mois dans certaines régions.

Il faut inclure également dans cette étape un certain renoncement des personnes âgées, qui acceptent, de manière passive, leur perte auditive et pensent, pour beaucoup, que le problème vient des nouvelles générations « qui n’articulent pas correctement ».

Les seconds filtres viennent de la complexité du parcours de soins.

Après le délai d’attente pour obtenir une consultation, il faut maintenant que :

  • Le médecin soit d’accord avec le besoin d’une amplification auditive,
  • Et qu’il fasse une évaluation de l’audition (audiogramme).

Les derniers filtres viennent, à nouveau, du malentendant, qui doit accepter d’aller voir un audioprothésiste. Apparaissent alors ici plusieurs freins :

  • L’image négative des aides auditives, trop souvent considérées comme des « béquilles inefficaces »,
  • Les barrières géographiques et financières,
  • Le manque de connaissances du malentendant sur les possibilités d’améliorer l’audition et les idées fausses sur la déficience auditive et les aides auditives.

Cette démarche globale demande du temps : l’étude montre que lorsqu’on demande aux personnes se rendant pour la première fois chez l’audioprothésiste à quand remonte, d’après leurs souvenirs, le début de leurs difficultés à bien entendre, la durée médiane se situe entre 8 et 12 ans. Il est, en fait, possible que les premières difficultés soient apparues encore plus tôt, car la prise de conscience d’un trouble auditif est souvent difficile les premiers temps.

Pour répondre à ces problématiques et raccourcir les délais à l’appareillage auditif, le marché du pré-réglé s’est développé en 2010. Son offre, diversifiée et complémentaire, est idéale pour des millions de français (consulter notre comparatif des aides auditives préréglées) et permet un appareillage précoce, dès les premières gênes. Un autre avantage est la possibilité d’habituer ainsi les jeunes seniors au port d’un appareil auditif et de dédramatiser ainsi cette étape. Enfin, le marché du préréglé leur donne le choix, selon leurs propres souhaits, entre contour d’oreille et intra-conduit et les informe sur les caractéristiques indispensables pour leur confort auditif.

 

Sources :

[1] Charlotte Humphrey, étude portant sur 365 sujets sélectionnés aléatoirement d’après le registre d’un cabinet de médecins généralistes à Londres.

[2] I.R.C Swan, S. Gatehouse « Factors influencing consultation for management of hearing disability » in British Journal of Audiology 1990 ; 24 :155-160

[3] R. Hétu, L. Riverin, L. Getty, N.M. Lalande, C. St-Cyr. « The reluctance to aknowledge hearing difficulties among hearing-impaired workers » in British Journal of Audiology 1990 ; 24 :265-276

 

 

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