trouble auditif, perte de l'audition, presbyacousie, malaudition, quand consulter un médecin ORL ?

Le marché de l’aide auditive est en pleine mutation. D’une part, nous assistons à l’émergence (depuis 2010) de solutions auditives préréglées qui se passent de prescription médicale, puisqu’elles sont autorisées à la vente libre. D’autre part, la réforme du RAC0 permet au médecin généraliste de prescrire un appareillage auditif à son patient. Enfin, nous assistons également à un démarchage (en boîte aux lettres) d’enseignes d’audioprothésistes – pas davantage habilitées à réaliser un bilan audiométrique que le généraliste – proposant pourtant des bilans auditifs gratuits aux personnes de plus cinquante ans (pratique interdite par la Loi mais allégrement utilisée).

Exemple de démarchage en boite aux lettres de l'audioprothésiste Amplifon, publicité interdite par la loi

Ces évolutions et pratiques interrogent sur le rôle de l’ORL dans le parcours de soins d’un sujet presbyacousique. Si l’ordonnance est indispensable pour la prise en charge des appareils auditifs ajustés à la perte auditive du patient, on peut toutefois légitimement se demander si :

  • Ces appareils sont, eux-mêmes, indispensables pour des sujets presbyacousiques ?
  • La consultation ORL est indispensable dans le parcours de soins ?
  • Cette dernière ne constituerait pas un premier frein à l’appareillage auditif des français ?

Les freins à la consultation ORL

Les français ne sont pas réfractaires à aller consulter leur médecin. Dans le cas de personnes concernées par une gêne auditive (nous n’évoquons pas, dans cet article, le handicap auditif), on note toutefois 3 éléments jouant en défaveur de la consultation ORL :

  • Le déni des personnes concernées,
  • Le délai d’attente pour la consultation,
  • L’issue de la consultation.

Parce que la presbyacousie est progressive, il est courant que le sujet n’ait pas conscience de ses difficultés auditives et donc de la nécessité de consulter un médecin ORL : plus de 50% des personnes consultant un ORL à ce sujet s’y rendent sous la pression de leurs proches ! Il n’est pas rare d’entendre les patients préciser que s’ils font répéter leur femme c’est « parce que la télévision est allumée » ou bien encore « parce qu’il y a du bruit dans la pièce ». Ces réponses, significatives pour le médecin – une personne presbyacousique n’ayant pas de difficultés majeures à entendre mais des difficultés à comprendre dans un environnement bruyant – témoignent pourtant d’une certaine forme de déni, venant du patient. Ce déni explique très certainement pourquoi la moitié des consultations ORL ayant pour objet une gêne auditive soient impulsée par un entourage souvent las de répéter.

Le délai d’attente pour une consultation ORL – jusqu’à 6 mois dans certaines régions – peut également être facteur de renoncement. Si ces délais ne peuvent pas être réduits par des solutions adaptées (augmentation du nombre d’ORL, meilleure répartition géographique de ces derniers, délai imposé entre les consultations médicales, par exemples), alors des solutions alternatives se mettent en place, dont certaines interdites par la Loi. C’est le cas, notamment, lorsque des enseignes d’audioprothésistes – qui sont des commerçants et non des médecins – cherchent à raccourcir ces délais en proposant un bilan auditif gratuit[1], shuntant, de ce fait, l’étape ORL, avec les dérives attendues de telles pratiques : majoration de la perte auditive du client, orientation sur un appareillage auditif plus onéreux et entretien de liens d’intérêts entre cet enseigne et l’ORL du coin, par une prise de rendez-vous – de l’audioprothésiste au cabinet – avec pour simple but d’obtenir une prescription permettant la prise en charge et non la quelconque confirmation des mesures effectuées.

audiogramme audioprothesiste interdit par la loi, les audioprothésistes ont tendance à majorer la perte auditive des patients ces derniers temps!

Bilan auditif réalisé par un audioprothésiste qui envoie ensuite le client chez le médecin ORL pour la prescription de prise en charge. Ce bilan auditif montre une surdité sévère à droite comme à gauche.

 

audiogramme d'un médecin ORL sur un patient entendant parfaitement, en comparaison à l'audiogramme du même patient réalisé par un audioprothésiste et montrant une perte sévère de l'audition chez ce patient.

Audiogramme du même patient, réalisé par l’ORL qui ne fera pas de prescription médicale. L’audiogramme montre une perte auditive légère ne nécessitant pas d’appareillage auditif (perte inférieure à 30dB à droite comme à gauche).

A mi-chemin entre la volonté de raccourcir l’attente pour une consultation ORL et freiner un tant soit peu les pratiques illégales des audioprothésistes, l’État a donc tranché et permis aux médecins généralistes de prescrire un appareillage auditif. Le médecin généraliste n’ayant pas le droit de réaliser un bilan audiométrique, n’est-ce pas là reconnaître qu’une presbyacousie peut se passer d’un tel bilan et qu’un appareillage préréglé suffit bien largement ? Car, si ce n’est pas le cas, cela reviendrait à autoriser la prescription sans bilan et laisser tout pouvoir à l’audioprothésiste pour réaliser ensuite ce bilan, avec le risque des mêmes dérives que précédemment : majorer la perte puis orienter le client sur un appareil auditif plus onéreux. Nul ne peut être juge et parti, un commerçant n’est pas un médecin.

Pourquoi les appareils auditifs préréglés ne sont-ils pas pris en charge par la sécurité sociale et les mutuelles ?

Enfin, la consultation ORL représente – traditionnellement – le point de départ du parcours de soins du sujet presbyacousique. Un dernier frein à cette consultation peut donc être considéré : son issue, c’est à dire l’achat d’un appareillage à 3 000€ alors même que la personne est encore dans le déni. Le taux d’abandon entre la consultation ORL – qui a généralement lieu vers la soixantaine, au moment de l’intensification des premières gênes – et le rendez-vous chez l’audioprothésiste est de 35%. Le délai moyen entre la première consultation ORL et l’appareillage auditif est de 8 à 12 ans ! À ce sujet, il n’y a rien d’autre à ajouter à ces chiffres qui, à eux seuls, témoignent de la nécessité des solutions auditives préréglées, dont la moyenne d’âge des utilisateurs est de 65 ans. En levant ces principaux freins, elles permettent d’agir en prévention et de familiariser tout un chacun à l’appareillage auditif.

Quand l’ORL est-il indispensable, lorsqu’il s’agit d’une perte auditive ?

En dehors de l’appareillage pré-réglé, qui ne nécessite aucune prescription médicale et en dehors d’un appareillage ajusté à la perte du patient presbyacousique, dont la prise en charge nécessite une prescription médicale qui peut être délivrée par un généraliste, il existe des cas de figure dans lesquels la consultation ORL demeure indispensable :

  • Le handicap auditif (dont il n’est pas question dans cet article) ;
  • Une perte auditive soudaine (du jour au lendemain ou sur quelques jours), qui peut être due à un bouchon de cérumen obstruant le conduit auditif, un neurinome de l’acoustique, les conséquences d’un accident de décompression (chez le plongeur), par exemples ;
  • Une perte auditive qui s’accompagne de vertiges. Il pourra alors s’agir :
    • D’un grand vertige rotatoire associé à une surdité de perception, évocatrice d’une névrite cochléo-vestibulaire (rare) pouvant témoigner d’une atteinte vasculaire ou d’une hémorragie labyrinthique ; d’une labyrinthite (douleur, tympan inflammatoire, otorrhée) ; d’un neurinome. Si les fréquences graves sont touchées, une maladie de Menière.
    • Un vertige avec surdité de transmission ou mixte, qui s’observe surtout dans les malformations d’oreille interne : déhiscence du canal semi-circulaire supérieur mais aussi postérieur, dilatation de l’aqueduc du vestibule ou autre malformation de l’oreille interne. Otosponsgiose, traumatisme crânien.

Rappelons simplement, pour conclure, que l’ORL, par ses compétences, est le seul habilité à réaliser un bilan auditif complet et qu’en cas de perte auditive atypique, il doit être consulté le plus rapidement possible.

Audioprothésistes : vers la mort d'un métier ?

Notes :

[1] Article L4361-7 : « L’audioprothésiste ne peut intervenir qu’en exécution d’une prescription médicale et un bilan auditif ne peut être réalisé que par un médecin. En effectuant un bilan auditif, l’audioprothésiste se substitue au praticien et peut être poursuivi pour pratique illégale de la médecine. »

 

 

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