Le marché belge de l'appareillage auditif, un scandal national

Nous avions précédemment parlé du marché des appareils auditifs en France et – à travers l’article sur l’essai clinique américain comparant prothèses auditives sur-mesure et prothèses auditives préréglées – du marché américain.

Ces différents articles ont montré de grandes similitudes sur ces marchés, dont la pratique de prix hauts (pour des appareils qui sont, en réalité, relativement peu coûteux) au détriment des besoins de millions de personnes. Le prix haut, souvent justifié par le temps et le savoir-faire de l’audioprothésiste au cours du suivi obligatoire de 4 ans, nous avait d’ailleurs motivé a publié l’essai clinique américain qui compare objectivement une solution auditive vendu avec ce service de suivi et une solution auditive vendue sans.

toutes les prothèses auditives préréglées se valent-elles ?

Rappelons simplement que les gouvernements et les professionnels de Santé ont beau s’émouvoir du faible taux d’appareillage de leur population, il n’en reste pas moins que la pratique des prix hauts est le frein majeur au refus des populations et que rien n’a jamais été mis en œuvre pour lutter contre ce scandale (pas mal le RAC0). En France, par exemple, si les institutions avaient souhaité réduire drastiquement ce prix, elles auraient commencé par dissocier le prix de vente de l’appareillage auditif de celui du service de suivi sur 4 ans (c’est à dire acter la Loi Macron de 2015), service qui semble si onéreux (40% du prix final) mais que, dans les faits, bien peu de français appareillés utilisent, selon l’étude 2015 de l’UFC Que Choisir[1].

La conséquence est qu’en France, par exemple, 3 presbaycousiques sur 4 rejettent l’appareillage auditif et qu’aux Etats-Unis, alors que 17,5 millions d’américains adultes (le triple de la France) ont besoin d’être appareillés, seulement 20% le sont[2].

Désireux de savoir comment cela se passe dans d’autres pays, nous avons fait des recherches sur les marchés belge, allemand, anglais, espagnol et italien. Nous n’avons pas été déçus ! Une chose est certaine : l’appareillage auditif préréglé qualitatif a de très beaux jours devant lui. Et l’obstination des grands groupes en place à protéger leurs intérêts économiques ne montre qu’une déconnexion alarmante avec la réalité. Au lieu d’écouter les besoins, ils se contentent d’essayer (en vain) de dénigrer un produit qui cartonne de plus en plus (le préréglé).

Avant de rentrer dans le vif du sujet et pour illustrer notre dernière phrase, nous glissons ici un copier/coller d’un email reçu le mois dernier d’un lecteur. Toute la stratégie des grands groupes est contenue dans ces quelques lignes. C’est à la fois beau, parlant et alarmant (et ça rentre en résonance avec ce que nous allons voir sur le marché belge).

« J’ai fait un test auditif chez un audioprothésiste qui montre environ 40% de perte auditive sur les 2 oreilles. L’audioprothésiste m’a tenu un propos étonnant. Selon lui, d’une part, les appareils auditifs préréglés peuvent détruire la cochlée avec un mauvais réglage et, d’autre part, sans qu’il n’entre dans le détail, il paraît que je ne peux pas être équipé avec des aides intra-auriculaires. Pour lui, l’appareil auditif qui me convient est un appareil extra auriculaire contour d’oreille de la marque Oticon. Quel est votre avis ? »

Stratégie grossièrement visible :

  1. Dénigrer le préréglé, qui gagne de plus en plus de part de marché et effraie les audioprothésistes et le dénigrer – si possible – par la peur (ça marche mieux sur les personnes non éclairées ou émotionnellement fragiles). Bien évidemment, ces arguments sont pluriels et infondés, nous ne perdrons pas de temps dessus (nous les évoquions dans cet article) ;
  2. Expliquer – mais sans expliquer – que l’intra-auriculaire n’est pas possible pour subtilement orienter le client patient vers un appareillage contour d’oreille, bien plus rentable pour un audioprothésiste (nous en parlions dans cet article) ;
  3. Et, coup de grâce, l’orienter vers la marque du groupe, pour garantir une pleine rentabilité de la vente, au détriment des besoins réels, esthétiques et techniques, du client. Pour rappel (l’article est ici) :

le marché belge de l'appareillage auditif, prothèse auditive, appareil auditif, aide auditive, prothèse auditive

Ce qui est d’une tristesse désolante c’est que de ces quelques lignes, reçues par email, on peut en déduire qui est le distributeur et quel est le degré de crédibilité, de professionnalisme et de transparence du commerçant professionnel de santé (ça vaut bien un communiqué de presse pour tenter de réhabiliter la profession, tiens !)

Nous aurions pu en rire, tellement la manipulation est grossière, malheureusement cela nous peine terriblement parce que ce discours est répété dans chaque enseigne et contribue à désinformer continuellement les gens, avec pour seule ambition de leur vendre quelque chose dont ils ne veulent pas.

En toute transparence, nous avons orienté cette personne sur un appareil auditif intra-conduit préréglé à 300€ avec un satisfait / remboursé d’une vingtaine de jours (qui a fait l’objet de notre test comparatif disponible ici). Pourquoi ?

  • Parce qu’il voulait de l’invisible,
  • Que son audiogramme montrait une presbyacousie,
  • Qu’il était réticent à mettre une telle fortune dans un appareillage auditif visible,
  • Que s’il n’était pas satisfait lors de son essai, il pourrait tout à fait se faire rembourser et retourner voir ce distributeur zélé.

Ce monsieur a suivi notre conseil et est aujourd’hui très satisfait de son appareil auditif. Si le distributeur avait choisi de prioriser les exigences de son client (qui paie) à ses intérêts économiques, il aurait certainement pu, par lui-même, le satisfaire. Au lieu de cela, il a perdu un prospect qui, éclairé, ne manquera pas d’informer ses proches.

Nous avons pris le temps de préciser cette anecdote car elle entre en résonance avec la suite de l’article. Revenons-en maintenant à nos moutons. Nous n’évoquerons, ici, que le marché belge, mais un prochain article, plus global, comparera le marché de l’appareillage auditif en France, en Espagne, en Italie et en Grande-Bretagne.

Le marché belge des appareils auditifs

Le document de consultation publique « Étude sur les prix, les marges et le fonctionnement du marché des appareils auditifs en Belgique » réalisée par l’Observatoire des prix, à la demande de M. Vande Lanotte mentionne, dès la première ligne du premier chapitre, cette phrase fabuleuse (en France, c’est la raison pour laquelle nous avons décidé de créer ce blog) : « Les études portant sur le secteur des appareils auditifs, en Belgique ou à l’étranger, mettent en avant la difficulté d’accéder à des données sur le fonctionnement de ce marché[3] ».

Oui.

Le marché de l’appareillage auditif est opaque. Le premier rôle des groupes en place est de désinformer les gens et, à travers les syndicats nationaux, de veiller à ce que toute ouverture à d’autres solutions auditives soit discréditée. Internet est alors une aubaine car les Seniors, peu naïfs, sont de mieux en mieux renseignés et, faisant les recherches et le travail de réflexion par eux-mêmes, il devient de plus en plus difficile de les berner.

  • Contexte : le vieillissement de la population

Comme la France, la Belgique fait face au vieillissement de sa population : le nombre des plus de 65 ans a augmenté de 32,9% entre 1990 et 2013 pour représenter plus de 2 millions de personnes. Selon les projections d’Eurostat, d’ici 2040, ils devraient représenter 22,7% de la population totale en Belgique. Autrement dit : une aubaine pour le marché de l’audioprothèse.

part croissante du nombre de personnes dans la population belge : le vieillissement de la population, une aubaine pour le marché de la prothèse auditive

 

  • L’offre sur le marché

 Les firmes

Partout dans le monde, on retrouve une intégration verticale entre les fabricants et les audioprothésistes / audiciens. En Belgique, les 5 plus gros importateurs d’appareils auditifs travaillent directement avec les fabricants et représentent 94% des produits importés.

L’intégration verticale (nous en parlions dans l’article sur les liens d’intérêts) présente un frein majeur à la diffusion de nouveaux produits ou d’une innovation. L’UNSAF le soulignait « les audioprothésistes exerçant dans des centres détenus par un fabricant pourront-ils continuer de faire appel à d’autres fabricants et ce, dans les mêmes proportions ? »

L'intégration verticale sur le marché de l'appareillage auditif en Belgique, monopole et scandale national

La réponse est donnée dans les chiffes suivants : les importateurs travaillent avec plusieurs marques mais chacun possède une marque dominante qui représente entre 70 et 95% de leurs ventes, en volume. Ils disposent donc d’un quasi monopole dans la distribution ou la vente au détail. Ils sont repartis en 2 groupes, selon leur activité :

  • Les importateurs distributeurs : ils vendent leurs produits à des audiciens indépendants. On trouve :
    • Phonak Belgium,
    • Veranneman
  • Les firmes intégrées : ils vendent leurs produits à leurs propres points de vente. On trouve :
    • Amplifon,
    • AudioNova,
    • Lapperre BHAC.

le marché belge des prothèses auditives, le scandale national

Les marques

L’INAMI (équivalent de notre Sécurité Sociale) met à la disposition des médecins-conseils des mutualités une liste non exhaustive d’appareils auditifs répondant aux caractéristiques techniques nécessaires pour que la prise en charge du patient puisse avoir lieu. Cette liste contient 26 marques qui, par le jeu de l’intégration verticale, sont, pour certaines, liées entre elles et appartiennent au même groupement d’entreprises.

les marques de prothèses auditives sur le marché belge e l'audioprothése

Il ressort que 6 marques d’appareils auditifs représentent environ 90% des ventes sur le marché belge. Ces marques sont :

  • Lapperre,
  • Oticon (décidemment !!),
  • Phonak,
  • Resound,
  • Siemens.
  • Prix moyen de l’appareillage auditif en Belgique

Le prix moyen d’un appareil auditif en Belgique est de 1 646,70€. L’appareillage bilatéral – qui concerne 80% des ventes réalisées – tourne donc autour de 3 293,40€. Ce prix correspond à 54,6% des ventes de prothèses auditives réalisées.

Comme en France (et dans les autres pays), ce prix comprend :

  • L’appareil auditif,
  • Les réglages initiaux réalisés par l’audioprothésiste,
  • Le moulage de l’embout au conduit auditif (uniquement valable dans le cas des appareils auditifs intra auriculaires),
  • Le suivi du patient et le maintien de l’efficacité prothétique pendant 5 ans.

À ce prix s’ajoute :

  • Les assurances complémentaires,
  • Les accessoires,
  • Les piles.

Comme ailleurs, les aides auditives de type contour d’oreille représentent environ 70% des ventes totales d’appareils auditifs (nous en parlions dans cet article).

appareil auditif contour d'oreille et appareil auditif intra conduit, quelles différences

  • Les conditions de prise en charge par l’INAMI

La prise en charge est de 657€ pour un appareillage auditif unilatéral et un peu moins du double pour l’appareillage bilatéral, qui correspond à 80% des ventes effectives d’aides auditives.

3 conditions sont à remplir pour avoir accès à la prise en charge :

  • Des conditions liées à la procédure d’acquisition,
  • Des conditions médicales (liées au patient),
  • Des conditions techniques (liées à l’appareil auditif).

Les conditions liées à la procédure d’acquisition : le parcours du combattant

À l’image de la France, le médecin ORL doit prescrire l’appareillage : le parcours de soins est donc, ici aussi, long et règlementé. Il est, d’ailleurs, doublement plus long car, en Belgique, le médecin ORL prescrit d’abord un test (15 jours) puis, au cours d’une seconde consultation et si les résultats du test sont concluants, il prescrit alors l’appareillage définitif.

En Belgique, pour obtenir un appareil auditif possiblement pris en charge par l’INAMI (Institut National d’Assurance Maladie Invalidité), il faut donc compter deux consultations ORL et, au minimum, deux visites initiales chez l’audicien. Il est à noter que le problème du délai d’attente pour la prise de RDV chez un médecin spécialiste reste le même qu’en France et 3 belges sur 4 estiment qu’il est trop long, selon le baromètre Solidaris : de 3 semaines à plus d’un an.

Mais le parcours ne s’arrête pas là : l’audicien fera alors parvenir la prescription définitive d’appareillage auprès du médecin-conseil de l’organisme assureur qui devra également donner son accord pour la prise en charge de la solution auditive proposée. Cet accord dépend notamment des caractéristiques techniques de l’appareillage auditif proposé : voir le point suivant « Les conditions techniques »

obtenir la presciption médicale d'un appareil auditif en Belgique : un véritable aprcours du combattant

Les conditions médicales : les belges plus sourds que les français ?

trouble auditif, perte de l'audition, presbyacousie, malaudition, quand consulter un médecin ORL ?

La perte auditive du patient doit être au minimum égale à 40dB par oreille appareillée. Il est intéressant de noter que :

  • La prescription médicale d’un médecin ORL tombe dès que la perte auditive atteint 30dB (gêne pour le patient),
  • Seulement 2% des aides auditives vendues en Belgique ne sont pas prises en charge.

On pourrait alors penser que les belges sont plus « sourds » que les français puisque 98% des belges appareillés ont eu accès à une prise en charge et donc ont, par voie de fait, une perte auditive supérieure à 40dB. Ce qui est plutôt surprenant : qu’advient-il des personnes qui ont une perte comprise entre 30dB et 40dB ? Aucune ne s’appareillent ?

Ne pourrait-on pas plutôt privilégier, à l’hypothèse d’une surdité plus forte chez nos voisins du nord, la possibilité qu’un certain nombre d’audiogrammes soient majorés, permettant alors la prise en charge des patients ? Et, dans cette hypothèse, comment ne pas subtilement envisager des liens d’intérêts entre médecins ORL, fabricants et distributeurs de prothèses auditives (pour le refresh concernant la France, l’article est ici).

evolution du nombre de prothèses auditives remboursées en belgique

remboursement des prothèses auditives en belgique, perte auditive, presbyacousie

Les conditions techniques

L’appareil auditif doit être inscrit sur la liste communiquée par l’INAMI aux médecins-conseils des mutualités et répondre aux caractéristiques techniques suivantes :

  • Être numérique,
  • Avoir une durée de vie de 5 ans,
  • Avoir une bande passante allant au moins jusqu’à 5500Hz,
  • Avoir une amplification non linéaire,
  • Avoir un niveau de distorsion inférieur à 5% aux fréquences 800 – 1600Hz.

France VS Belgique : même combat ?

Il semblerait !

La proportion de personnes appareillées est relativement faible en Belgique, par rapport aux pays voisins et l’étude 2008 du KCE précisait le chiffre de 15% (contre 25% pour la France, par exemple).

Les ventes annuelles d’appareils auditifs en pourcentage de la population s’élevait à 0,7% en 2012 contre :

  • 0,8% en France,
  • 1,6% aux Pays-Bas,
  • 1,1% en Allemagne.

Depuis quelques années, on voit également apparaître, sur le marché belge des solutions auditives préréglées, qualitatives, qui progressivement, satisfont de plus en plus de personnes et gagnent de plus en plus de terrain.

 

Sources :

[1] Étude UFC Que Choisir – Audioprothèses : un marché verrouillé au détriment des malentendants – Septembre 2015

[2] The Effects of Service-Delivery Model and Purchase Price on Hearing-Aid Outcomes in Older Adults : A Randomized Double-Blind Placebo-Controlled Clinical Trial, Larry E. Humes ; Sara E. Rogers ; Tera M. Quigley ; Anna K. Main ; Dana L. Kinney ; Christine Herring

[3] Alcimed (2009), Cours des Comptes française (2013) et KCE (2008).

 

 

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