Haute Autorité de Santé, assurance maladie, remboursement, prise en charge, appareillage auditif

Nous nous étions déjà étonnés, précédemment, de la non prise en charge des appareils auditifs préréglés, par la Sécurité Sociale et les mutuelles. Étonnement légitime lorsque l’on sait que ces derniers conviennent très bien aux personnes presbyacousiques (aviez-vous consulté l’article de synthèse sur l’essai clinique américain qui compare préréglé et sur-mesure dans l’appareillage de la presbyacousie ? Au besoin, vous le trouverez ici) qui sont, elles, des millions dans le monde (et parfaitement satisfaites de ces solutions). La prévalence de la presbyacousie dans les problèmes auditifs est, effectivement, avérée : elle touche le tiers des adultes entre 61 à 70 ans et plus de 80% des personnes de plus de 80 ans. Lin souligne que 30 millions de personnes, dans le monde, sont concernées, dont 63% d’hommes et 48% de femmes entre 70 et 79 ans. En Europe, Roth estime que, dès l’âge de 70 ans, le tiers des hommes et 20% des femmes présentent une perte auditive supérieure à 30dB ; pour les personnes de plus de 80 ans, 55% des hommes et 45% des femmes sont touchés.

Selon l’OMS, la population mondiale âgée de plus de 60 ans va augmenter de 605 millions à 2 milliards d’individus entre 2000 et 2050, appuyant irrémédiablement la prévalence de la presbyacousie dans les problèmes auditifs.

Prothèse auditive et assistant d'écoute : points communs et différences entre ces appareils auditifs

Dans le même temps, il est aussi avéré que la très grande majorité de ces personnes refusent l’appareillage auditif traditionnel, distribué par les audioprothésistes, pour de nombreuses et unanimes raisons :

  • Le déni psychologique de l’individu : la presbyacousie se manifestant de manière graduelle, il faut parfois plusieurs années avant que la personne ne se rende compte d’une perte auditive. De plus, la gêne auditive, liée au vieillissement, est mal perçue et de ce fait, peu acceptée. Seulement 20% des personnes de plus de 65 ans avec une perte d’audition légère à modérée se perçoivent comme malentendants ;
  • Le rejet massif d’un dispositif visible, dit contour d’oreille, qui correspond (pourtant!) à 80% des ventes de prothèses auditives. On parle alors de « ventes préférentielles », c’est à dire d’une orientation préférentielle des ventes des « professionnels » sur ce type de dispositif, à l’encontre du souhait des consommateurs ;
  • Le rejet d’un dispositif complexe, qui nécessite de se déplacer de nombreuses fois alors même que certaines personnes ont de réels problèmes de mobilité ;
  • Un parcours de soins qui s’apparente à un véritable parcours du combattant ;
  • Un prix excessif, qui ne correspond pas à la gêne ressentie par les utilisateurs, gêne nullement comparable au handicap auditif alors que le parcours et l’offre demeurent similaires ;
  • Une prise en charge régulièrement qualifiée de « faible » (120€ par oreille par la Sécurité Sociale) mais l’est-elle vraiment ? La Sécurité Sociale doit-elle rembourser la marge commerciale des audioprothésistes ? En remboursant 120€ par oreille, la Sécurité Sociale rembourse 50% du coût de revient de l’appareillage auditif, sinon plus !

« Les déficiences auditives non traitées (…) constituent un problème national majeur. Seule une fraction des consommateurs ayant besoin d’aide auditive se procure et utilise des prothèses auditives, en grande partie à cause des coûts élevés, des procédures de préparation complexes, de la stigmatisation sociale et des insuffisances de performance[1]»

Pourtant, le refus de l’appareillage auditif expose des millions de personnes à des risques identifiés de repli sur soi, de perte de confiance, d’isolement progressif, de retards cognitifs, de dépression voire de démence. Les coûts induits du non appareillage sont estimés, pour la France, à quelques 2,1 milliards d’euros annuels pour la Sécurité Sociale. Si la perte de l’audition est une réalité qui touche chacun de nous, le non appareillage est un véritable enjeu de santé et de société. Alors, pourquoi la Sécurité Sociale et les mutuelles refusent-elles la prise en charge du préréglé, dont l’efficacité est prouvé et qui est une solution concrète pour des millions de personnes qui, d’ailleurs, se tournent vers lui bien plus tôt que vers le sur-mesure (une décennie plus tôt en moyenne) ? 

haute autorité de santé et business de la santé

© Le Business de la Santé – Daniel Garcia

La Sécurité Sociale et la prise en charge de l’appareillage auditif préréglé 

Pour que son appareil auditif soit pris en charge par la Sécurité Sociale, le parcours de soins d’une personne en situation de simple gêne auditive…doit nécessairement être le même que celui d’une personne en situation de handicap : consultation ORL (avec parfois un délai d’attente de plus de 180 jours dans certaines régions) payante, rendez-vous chez un audioprothésiste avec orientation sur du contour d’oreille, puis rendez-vous réguliers pour « affiner les réglages ». Un Iphone X, machine magnifique et complexe, marche parfaitement sans avoir besoin « d’affiner les réglages », mais le contour d’oreille, amplificateur de sons au design archaïque, vendu au même prix que l’iphone mais sans la technologie, lui, en a besoin ! À tel point que cet ajustement représente 40% du coût final de l’appareillage auditif ! Quelle aubaine pour les professionnels du secteur !

Le site ameli.fr précise, par ailleurs, qu’avant tout appareillage, l’audioprothésiste doit procéder à des prestations telles que :

  • L’évaluation de la gêne auditive et des besoins en termes d’appareillage auditif. Pourtant, cette évaluation est formellement interdite par la loi, nul ne pouvant être juge et parti. Cette évaluation entraine plusieurs dérives :
    • L’audioprothésiste prospecte (prospection commerciale interdite également) en faisant miroiter un bilan auditif gratuit,
    • Bilan auditif sur lequel la perte auditive (si elle existe) est souvent majorée (pour orienter ensuite vers un appareil plus onéreux),
    • Puis prend RDV chez l’ORL de proximité (liens d’intérêts), pour la prescription médicale ;

 

  • L’information de l’utilisateur sur les différents modèles de prothèses auditives disponibles par rapport à sa perte auditive. Lorsque nous savons que 80% des ventes sont des contours d’oreille alors même que ce dispositif visible est l’une des raisons principales au rejet massif des patients, l’on est en droit de s’interroger sur la bonne tenue et/ou l’objectivité de cette information.

L’audioprothésiste est alors tenu de fournir un devis normalisé qui doit laisser apparaître le prix de l’appareil même et celui du service de suivi obligatoire, sur 4 ans.

Cette procédure légitime les dérives et les abus certes mais, surtout, n’a jamais résorbé le problème du faible taux d’appareillage ! Par contre, elle vise à bloquer la prise en charge des dispositifs auditifs préréglés qui, vendus au juste prix et s’exonérant du parcours de soins, n’entretiennent aucun lien d’intérêt avec les médecins et les mutuelles, mais fournissent simplement une solution efficace aux personnes éclairées !

Le cas Sonalto : refus de la prise en charge par la Haute Autorité de Santé

sonalto l'assistant d'écoute numéro un en pharmacie

Courant 2018, URGO, la société qui commercialise Sonalto, a fait la demande, auprès de la Haute Autorité de Santé (HAS) d’une inscription de ses deux dispositifs auditifs préréglés (Octave et Sonalto-R) sur la liste LPPR (Liste des Produits et Prestations Remboursables par l’Assurance Maladie) : c’est une première demande pour cette société. Le rapport précise, par ailleurs, « qu’aucun assistant d’écoute n’est inscrit à la LPPR ».

Cette demande a été rejetée le 18/12/2018 par la CNEDiMTS, Commission Nationale d’Évaluation des Dispositifs Médicaux et des Technologies de Santé de la HAS. En effet, comme l’indication d’appareillage auditif est posée, par un médecin, à partir d’une perte auditive supérieure ou égale à 30dB et qu’Octave ainsi que Sonalto-R n’amplifient que jusqu’à 20dB, alors leur utilité n’a pas été reconnue de santé publique : « L’intérêt de santé publique d’un appareillage pour une perte auditive inférieure à 30dB reste à déterminer ». Le rapport précise également que, pour toutes les pertes auditives supérieures à 30dB « le besoin est actuellement couvert par les aides auditives dans les indications pour lesquelles leur intérêt est reconnu ».

Ce qui est étonnant c’est que :

  1. C’est la Loi qui a imposé à Sonalto de n’amplifier que jusqu’à 20dB, autorisant ainsi sa vente libre en pharmacie à cette condition et pour faire suite au procès qui avait été fait par les audioprothésistes, effrayés à l’idée de perdre leur (bien juteux) marché ;
  2. Nombreux sont les médecins qui préconisent un appareillage précoce, dès les premiers signes d’une perte auditive, afin d’habituer l’utilisateur à l’appareillage auditif ;
  3. Enfin, il est surprenant, au vu des chiffres du non appareillage (et de la satisfaction relative des utilisateurs), en France et dans le monde, d’écrire que les solutions sur-mesure assurent les besoins, au delà d’une perte auditive de 30dB !

Ne soyons pas mauvaise langue trop tôt et regardons, alors, du côté des solutions auditives préréglées qui amplifient à plus de 30dB et qui, donc, si on suit la logique de ce rapport, proposent un produit d’utilité publique. Sont-elles inscrites sur la liste LPPR ? À ce jour, une seule aurait fait la demande d’inscription sur la liste LPPR : Audibest by Louis, d’EvoluPharm (on en parlait dans cet article).

audibest by louis d'evolupharm, concurrent direct de Sonalto en pharmacie

L’Assurance Maladie, à ce sujet, a botté en touche (surprenant!) et fait savoir : « En l’état, les conditions de prise en charge des audioprothèses à la LPP requièrent l’intervention d’un audioprothésiste et plusieurs séances d’écoute du patient, de test auditif et d’essai et réglage de l’appareil qui sont très explicitement énumérées. L’appareil ici présenté ne répond pas à ces conditions. Il s’agit d’un dispositif médical intermédiaire, entre les prothèses auditives relevant des audioprothésistes et les assistants d’écoute dont la distribution est libre. Cet appareil doit être évalué par la Haute Autorité de santé et éventuellement inscrit en tant que tel à la LPP. En attendant, il ne peut pas être remboursé. »

Les français apprécieront par eux-mêmes la bonne volonté de ces gouvernants à les voir appareiller et mieux entendre les promesses présidentielles !

Alors, oui, c’est vrai, il y a eu le RAC 0, les français sont chanceux (on décortique cette réforme qui n’en est pas une dans cet article), ils vont pouvoir :

  • Continuer à se voir proposer des contours d’oreille (vente préférentielle),
  • Mais les payer plus chers (orientation préférentielle sur le panier de CLASSE II, dont le prix n’est pas plafonné par l’état),
  • Avec une cotisation mutuelle également plus chère !

Alors, on dit merci qui ?

La Haute Autorité de Santé

Ouvrons une parenthèse rapide sur la Haute Autorité de Santé, qui se définit comme « une autorité publique indépendante à caractère scientifique, dotée de la personnalité morale ». Elle a été crée par la loi française du 13 Août 2004, relative à l’assurance maladie (sic). Sur Wikipédia, il est précisé « son statut juridique d’autorité publique indépendante (API) forme la plus aboutie en termes d’indépendance dont puisse disposer une autorité administrative indépendante (AAI) »

C’est dire !

Sinon, dans les faits :

Haute autorité de Santé Assurance Maladie CNAM prothèse auditive seniors perte auditive presbyacousie

Pour accéder à son organigramme et pouvoir juger de sa réelle indépendance, il faut s’identifier.

organigramme-haute-autorité-de-santé

Le Président de la HAS est nommé par…le Président de la République. Les autres membres sont nommés par décret du Président de la République, sur proposition :

  • Du Ministre des Affaires Sociales et de la Santé,
  • Du Président du Sénat,
  • Du Président de l’Assemblée Nationale,
  • Du Président du Conseil Économique, Social et Environnemental.

Quelques Président de la HAS dans le temps :

  • Pr Laurent Degos (2005 – 2010)
Le Pr Laurent Degos défendait l’indépendance de la HAS, assurant qu’elle n’avait « pas de comptes à rendre » à l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam), qui lui procure les deux tiers de son financement. Mais les avis de la HAS doivent être suivis pour que l’institution soit crédible. Il avait alors précisé « c’est là que je vois qu’on perd de l’indépendance. Si la HAS devait rentrer dans le schéma selon lequel « si on veut être crédibles, il faut qu’on soit suivis et si on veut être suivis, il faut qu’auparavant on sache de quelle opinion est le ministre et qu’on ne soit pas loin de ce qu’il va dire ».
  • Jean-Luc Harouseau (2011 – 2016)

En Février 2019, le Pr Jean-Luc Harousseau prend la tête de la Fondation des entreprises du médicament, créée par le LEEM, syndicat des industries pharmaceutiques. Pourrait-on y voir un lien d’intérêt dans la mesure où plus un médicament est remboursé (le remboursement dépend de la HAS), mieux il se vend ? Avant d’été nommé Président de la HAS, le Pr Jean-Luc Harousseau avait reçu, entre 2008 et 2010, 205 482 euros des laboratoires pharmaceutiques pour avoir participé à des conférences, des colloques et donné des conseils scientifiques.

La vice-présidente du Formindep, association pour une information médicale indépendante, Anne Chailleu, affirme dans le Journal Médiapart : « La présidence de Jean-Luc Harousseau va donner à la Fondation (et au LEEM) accès à un riche carnet d’adresses, notamment auprès de la HAS qui est vue par les industriels du médicament comme un obstacle à neutraliser. En effet, cette agence sanitaire persiste encore à alerter sur le manque des données concernant l’efficacité et la sécurité des nouveaux anticancéreux. Actuellement, les problématiques d’accès aux traitements du cancer pour les enfants sont de deux ordres : peu de données pédiatriques (peu d’essais), et des tarifs exorbitants pour les anticancéreux. Aucun de ces deux aspects n’est visé par la Fondation. »

  • Agnès Buzyn (2016 – 2017)

Mise en place de la réforme du RAC 0 en audioprothéses (2019).

  • Dominique Le Guludec (2017 – )

En un exemple parlant : HAS, laboratoires, Assurance Maladie et…homéopathie ! Article de France Culture.

Et pour aller plus loin sur ce sujet qu’est l’homéopathie (3 français sur 4 y croient), je laisse ici cette vidéo qui permet de comprendre scientifiquement comment cela fonctionne :

 

[1] President’s Council of Advisors on Science and Technology, PCAST – 2015

 

 

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